Dictionnaire amoureux de la France - [52]

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Rien qui sorte de la moyenne. Commune mesure de l’humanité. Avec cet humble matériau, Simenon a campé un héros qui nous rassure parce qu’il nous ressemble, tout en forçant notre admiration. Maigret ne juge pas. Il comprend. Il est celui que nous sommes tous, avec en prime un mélange de rectitude, de fatalisme, de chasteté et d’amour du monde. Amour charnel, amour du cœur, sans illusion. S’il a nos défauts, il ignore le Mal sous ses formes habituelles : la cruauté, la prédation, la suffisance. D’où l’exemplarité de son scepticisme. Nous sommes à son image, pleins de doutes. Mais sa probité pèse lourd, c’est une citadelle morale imprenable.

Le génie de Simenon facilite le processus d’identification. On lève les yeux vers l’immeuble du quai des Orfèvres, on cherche la fenêtre du bureau de Maigret. On s’attend à le croiser sur la place Dauphine ou sur le pont Saint-Michel. J’ai passé des heures à chercher où il habitait précisément sur le boulevard Richard-Lenoir. Côté rue Amelot ou côté rue Popincourt ? Je l’ai cherché aussi sur les deux versants de la butte Montmartre, autour de l’île Saint-Louis, à Bercy, à Porquerolles, autour de La Rochelle, sur le canal latéral de la Loire, à Meung, bien sûr — autant de lieux de la géographie simenonienne car les Maigret ne sont que les esquisses de son œuvre. Les romans « durs » sont plus intéressants, mais on revient à Maigret, périodiquement ; on a envie, on a besoin de retrouver sous l’écorce pataude sa tendresse pudique pour les êtres floués par le destin. Son regard qui poétise les trivialités de la vie. Avant Maigret, on voyait le fonctionnaire français avec les yeux ricanants de Courteline : borné, formaliste, dur avec le sous-fifre, obséquieux avec le chef. Au mieux : bêtement intègre, monstrueusement dans le cas du Javert des Misérables. Le flic, c’était Ganimard, l’ennemi d’Arsène Lupin. Ce sera le de Funès du Gendarme de Saint-Tropez. Maigret sauve la mise de la fonction publique à la française, c’est l’incorruptible qu’on devrait pouvoir croiser dans n’importe quel bureau.

Maison de famille (La)

Demeure patricienne, fermette, grange : le Français a de la tendresse pour les quatre murs chapeautés d’un toit dont il a hérité dans le terroir de ses ancêtres. L’atavisme paysan nous a dotés d’un sens de la propriété du genre ombrageux qui se rémunère en exerçant une suzeraineté sur des arpents patinés de mémoire. Peu importe la modestie de l’enclos : une chaumière entourée d’un jardin de poupée procure autant d’aise qu’une chartreuse agrémentée d’un parc, pourvu qu’y divaguent des mânes de la lignée. Nos compatriotes habitent majoritairement une ville ou sa banlieue ; souvent, ils n’ont fréquenté la maison de famille que pendant des vacances, chez une grand-mère ou un vieil oncle. Elle n’en est pas moins leur port d’attache, leur inscription dans l’histoire et un point de ralliement familial. Il arrive qu’elle soit le havre d’un destin mal fagoté, mise au chômage, faillite, désertion d’un conjoint, maladie incurable. L’idée nous plaît de rejoindre un jour dans la tombe de famille ces aïeux dont les prénoms sont passés de mode, Adélaïde, Auguste, Félicie, Léon. Ils sont de ce pays, de ce village, de ce hameau, la maison en fait foi. Fut un temps où elle était indivise. On y revenait au mois d’août, parfois à Noël, parfois à la Toussaint ; ou bien pour enterrer dans les règles d’un art menacé de désuétude une cousine hors d’âge. On y retrouvait une parentèle éparpillée aux quatre vents de l’Hexagone. Les enfants s’amusaient avec leurs cousins et leurs voisins, engrangeant sans le savoir des souvenirs convertibles ultérieurement en bucolisme. Fenaison au râteau, vaches menées au pacage, batteuse chez le fermier : autant de grains à moudre pour des nostalgies de l’âge adulte que la maison résumerait, avec un clocher dans les parages. On entendait les parents chuchoter religieusement certains mots : testament, donation, partage, usufruit. On pressentait des conflits, on croyait comprendre que la maison en était la cause. Tous la convoitaient, mais tel, disait-on, n’aurait pas les moyens de l’entretenir. Ou de désintéresser un frère ou une sœur. Des trépas advenaient, les adultes passaient chez le notaire, personnage éternellement balzacien des dramaturgies qui se trament autour d’une maison de famille. Faites parler un notaire de nos campagnes, il vous racontera des histoires d’amour et de haine dont les héroïnes sont de pierre ou de torchis, coiffées de tuiles ou d’ardoises ! Les êtres comptent peu. Ils vivent et puis ils meurent. Les maisons ont le don de jouvence : on les retape, on s’y blottit et les voilà pimpantes comme une épousée.

Tous les Français n’ont pas le privilège de posséder une maison de famille ; presque tous désirent plus ou moins secrètement la forme d’enracinement qu’elle présuppose. Même s’ils sont des urbains invétérés et s’ils préfèrent les plages aux pâturages. La maison peut être dans la famille depuis les calendes, ou acquise par un père ou un grand-père soucieux de caser sa progéniture sous un toit fixe pendant les vacances : une génération de souvenirs estivaux suffit à armer le propriétaire d’un patriotisme picard, franc-comtois ou saintongeais. Il fera de son mieux pour que ses enfants s’« attachent » à la maison, et y reviennent assez souvent pour qu’advienne un ancrage affectif. On en connaît qui, à cet effet, ont fait creuser une piscine dans un verger, aménager une salle de jeux dans un grenier, ou consenti à l’hébergement de hordes de copains armés de guitares. Le Français a gardé cet instinct de creuser son terrier dans un terroir, d’y poser ses pénates et d’y décréter sa royauté. Les riches ont une villa à Deauville, un chalet à Chamonix ; pour autant ils ne s’intitulent pas normands ou savoyards, c’est juste pour le loisir, et le standing. Le patriotisme qu’ils invoquent a partie liée avec une maison de famille, fût-elle en ruine, mal fichue et sise dans un patelin où ils n’ont aucune envie de séjourner. Ils ne la vendent néanmoins que sous l’empire de la nécessité. Les moins riches n’ont hérité que d’une ancienne étable. Ils la viabilisent à proportion de leurs moyens, en laissant les « poutres apparentes » pour mieux ressusciter le temps jadis où l’ancêtre trimait en sabots. Car tout Français de souche hexagonale — ou frontalière — a des ancêtres qui grattaient le sol pour en tirer leur pitance jusqu’au moment — fin XIX


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