ПОСЛЕДНИЕ ВЫПИСКИ ИЗ ТЕТРАДЕЙ — ОСТАВЛЯЕМЫХ
Не об том сердце болит,
Который рядом сидит
А об том сердце болит
Который издали глядит.
(Частушка Переяславль-Залесского уезда)
* * *
Черновик письма к Вильдраку[1]
Cher Monsieur,
J’ai bien reçu Votre lettre et Votre livre, et si je ne Vous ai pas répondu plus tôt, c’est pour ne pas Vous faire de vacances littéraires. Mais puisque Vous voilà rentré…
Vous me demandez pourquoi je rime?
Je suis chrétien,
J’ai un petit chien
Qui mange du pain
Tous les matins
(Jacquot, fils de l’épicier d’en bas, 6 ans)
Si le dit auteur de ce quatrain avait dit: — Je suis baptisé, j’ai un petit chien auquel je donne à manger tous les jours — ça ne me dirait rien, ni à lui non plus, ni à personne: ça ne serait rien. Et voici que cela est.
Voici, Monsieur, pourquoi je rime.
* * *
Des vers non rimes sont (ou me font, à de rares exceptions près l’impression de) vers à écrire: l’intention y est — rien qu’elle.
Pour qu’une chose dure il faut qu’elle soit chanson, chanson étant elle-même son accompagnement musical, accomplie en elle-même, ne devant rien à personne.
(Pourquoi je rime? Comme si on rimait — pourquoi! Deman-dez le peuple — pourquoi il rime. L’enfant — pourquoi il rime. Et les deux — ce que c’est que rimer.)
* * *
…Voici, peut-être, un essai de réponse à Votre léger reproche sur <пропуск одного слова> du son au détriment du mot et du sens dans mes vers.
Cher ami, c’est toute ma vie que je l’entends, que je l’attends.Vous avez visé juste et, ne connaissant rien de moi, à prémière vue (ouïe!). Vous avez été plus <пропуск одного слова> que les autres, ayant mis en présence non seulement le son et le sens, mais (troisième puissance!) le son et le mot. Et voici que Votre reproche — au lieu de m’indigner — ou m’ennuyer — ou m’attrister — m’intéresse, comme matière à discussion où je pourrai moi-même en apprendre long. (J’écris pour comprendre — c’est tout ce que j’ai à dire sur mon métier.)
Cher Monsieur, ce n’est pas mon Gars, ce n’est pas moi-même, c’est ma cause, une cause que je défends. Ne confondez donc pas!
Si Vous m’indiquez tel ou tel endroit obscur — ou non réussi — ou mal-sonnant — je ne Vous en serai que reconnaissante — surtout en ma qualité d’étrangère. Je peux rimer mal — d’accord, mais que la rime soit en elle-même un mal — cela, je ne Vous l’accorderai jamais.
(Oh, surtout ne Vous fâchez pas! Si je m’emporte ainsi — ce que j’ai confiance —)
Votre livre. Savez-Vous qu’il me rappelle beaucoup Rilke, le Rilke des Cahiers. Votre livre — un coeur mis-à-nu, sans la defence de la forme, Votre livre — dit, non écrit et par conséquent senti, ouï, non lu. Je l’ai relu trois fois. Il y a aussi beaucoup de moi dans Votre livre (le cas de croire sur parole!) je me reconnais presqu’à chaque page, surtout dans Etre un Homme — et surtout dans:
Et si tu vas un jour chez ceux qui ont de l’or —
et surtout dans:
— Sans que leur voix se trouble ordonnant
qu’on les serve
— surtout dans ce serve, qui, ici, a le poids du substantif, que j’aurais mis, moi, en ithaliques, que j’ai lu, moi, en ithaliques.
(«Madame et servie», celle qui le dit et celle qui l’est n’y pensent pas, mais Vous — moi — poètes — ouïe prolongée — y pensons pour elles: — servie par mes deux mains — ses deux mains dorées diamantées et oisives — par ces deux miennes, etc. C’est bien cela?)
L’auberge, c’est tout à fait Rilke, Histoires du Bon Dieu, son dedans des choses. Si je dis Rilke — ça veut dire fraternité. Faire du R est impossible, on naît, on est R. (On ne naît pas Rilke. 5 Août 1938 — en copiant.) Vous êtes, dans ce livre d’amour, son frère en humanité, son «frères humains…», son frère-arbre, frère-loup.
Et ce qui me touche — je ne saurais même pas dire et ne voudrais même pas savoir pourquoi, c’est ce mot gentil, gentille, qui Vous revient si souvent, ce mot si humble si peu usité en vers.
…Voici un cavalier sans cheval!
Dans cette ligne Votre choix dans la vie — ou avant la vie — est fait.
A un cheval qui veut, a un bréviaire qui veut, mais être (cavalier, prêtre, <пропуск одного слова>) sans avoir — c’est l’orgueil ou le refus suprême.
Comme je le connais, ce cavalier sans cheval.
* * *
Au revoir, cher Monsieur, à Vous de vouloir me voir. Si je ne Vous avais pas envoyé de manuscrit je me sentirais envers Vous aussi libre que vis à vis de Votre livre: âme à âme (admirez ces trois a!) mais — Vous avoir prié de me lire — me gêne et c’est pour ça que je me tairai jusqu’à ce que Vous parliez.
MZ
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(Еще отрывок — м. б. первого письма)
…Ne Vous paraît-il pas et n’est-il pas étrange que je me sois adressée, moi, rimeur passionné, entre tous — à Vous, ennemi hautain de la rime? Et n’aurait-il pas été plus simple (?) d’amener mon Gars au camp ami (s’il en existe) des rimeurs.
D’abord et en tout: mon instinct cherche, trouve et crée toujours des obstacles, c’est-à-dire je les crée d’instinct: dans la vie comme dans les vers.
Ainsi — j’ai eu raison selon moi.
Secondement: il existe entre nous des liens familiaux: Russie, Pasternak et surtout par-dessus tout — R — qui comme je le viens d’apprendre par Votre lettre — Vous avait choisi, lui aussi, entre tous — lui, que je peux nommer simplement le Poète. Non: la Poésie.