Dictionnaire amoureux de la France - [2]

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Racisme, nationalisme, régionalisme, atavisme : ces « ismes » de la peur me sont plus étrangers qu’un étranger. Je mets d’ailleurs les internationalismes dans le même sac, il n’y a pas d’« ismes » dans mon Dictionnaire amoureux, pas d’idéologie. La France que j’aime n’est pas théorisable, c’est une lanterne magique qui offre à mes fringales d’éblouissements des décors somptueux, des personnages hauts en couleur, de belles chimères, un entrelacs de prouesses et de galéjades embuées de regrets car la France, on la rêve immaculée et elle a du sang sur la mémoire.

Le bonheur d’être français, j’en jouis en surabondance. Je vis en France, je m’y balade sans relâche, je lis ses écrivains, ses historiens, ses érudits locaux, ses journaux, ses enseignes. Je lui fais l’amour, tous les jours, comme il sied quand l’amante est douce au toucher, douce au regard, douce à l’intériorité, et telle Circé capable de métamorphoses infinies. J’use de sa langue avec gourmandise, elle m’a permis de devenir au moins l’un des personnages que j’ambitionnais d’être : un écrivain français. Où que j’aille la courtiser, elle m’enchante, je n’en finirai jamais de la posséder, corps et âme, Paris l’enjôleuse et son collier de provinces, ses villes et ses patelins, ses recoins, ses secrets, ses sortilèges. C’est un puits de jouvence, un miroir à mille facettes. Jamais je n’emprunte la même route pour aller d’un endroit à un autre, j’aurais trop peur de mourir sans avoir vu tel manoir embusqué derrière ses vieux chênes, tel fragment de paysage découpé sur l’horizon. Jamais je n’entre dans une église sans en effleurer la pierre du bout des doigts et jamais je ne quitte un village avenant sans lui promettre d’y revenir.

À la fin de chaque été, quand mes enfants étaient écoliers, nous partions pour quelques jours à la découverte d’une région de la France. L’Amérique, me disais-je, ils iront bien assez tôt. Je voulais qu’ils connaissent au moins de vue les lieux communs de notre patrimoine ; je m’en faisais un devoir, moi qui ne suis pas très habité par le sens du devoir. Châteaux de la Loire, ossuaire de Douaumont, pont sur le Gard, Mont-Saint-Michel, arènes de Nîmes, Locronan, Conques, Riquewihr, aiguille d’Étretat, Domrémy, gorges du Tarn, hospices de Beaune, Cordes et Gordes et les Baux et Beaumont-en-Auge, baie des Anges, le mont Sainte-Odile et le moulin de Daudet à Fontvieille, cathédrales, bastides, rivages — je leur ai tout infligé. Au énième monument il fallait écourter la visite, ils se fichaient éperdument des amours de Diane de Poitiers, des fortifications de Vauban et des saints du tympan de Chartres. En manière de revanche, ils braillaient à tue-tête du Balavoine dans la voiture, il fallait promettre piscine ou télé pour avoir un semblant de paix. Je ne regrette rien, eux non plus : de ces voyages, outre le bonheur d’être ensemble, il leur reste le sentiment — imprécis — que leur pays recèle des trésors fabuleux. Presque aussi fabuleux que notre village. Tôt ou tard ils iront contempler ce qu’ils ont ingurgité, et ils seront encore plus fiers d’être français. Ce qui ne les empêchera pas d’aller voir ailleurs, le monde est vaste et il y a de la matière poétique à profusion sous toutes les latitudes. J’ai pas mal bourlingué, souvent avec bonheur et jamais sans profit ; rien ne m’a autant subjugué que nos joyaux paysagers ou architecturaux : à l’aune de Chambord, la joliesse du Taj Mahal m’a paru presque insignifiante. Le reste à l’avenant.

S’agissant de l’amour de la France, les trémolos seraient ridicules, et plus encore les lamentos : le couple que nous formons, elle et moi, ne cesse de célébrer ses noces et quoi qu’on entende ici et là, son « identité » tient la route — nationale, départementale, vicinale. Que l’état de la civilisation occidentale, dont elle procède, soit calamiteux, c’est une autre affaire. À supposer que cette civilisation s’effondre, hypothèse hélas très plausible, l’âme de la France survivra. Elle ne peut pas mourir, la chamade qu’elle bat en moi est si printanière. Elle permettra peut-être à notre postérité de rebâtir sur les ruines. Peut-être pas. Pour l’heure, c’est le plus beau pays du monde, le plus gracieux, le plus spirituel, le plus agréable à vivre. En dépit de ses défauts, le peuple français a des réserves inépuisables de vigueur, d’astuce et de générosité. J’écris cela en toute connaissance de la déprime qui périodiquement enténèbre nos compatriotes. Ils ont une pente à l’autodénigrement, une autre au nihilisme. Ils sont même assez maso pour se persuader qu’ailleurs ils se porteraient mieux et selon la mode du moment les voilà soviétomanes ou anglomanes. Ils vont chercher des « modèles » à Katmandou, à La Havane ou dans la Silicon Valley. Ça leur passe comme ça leur est venu, c’est juste un symptôme de cette versatilité un peu puérile qui n’avait pas échappé à Jules César. Du reste ça ne concerne que les « élites » : le gros de la troupe, grâce au ciel, est parfaitement heureux de vivre en France, fût-ce sur un carré de bitume. Le Français émigre peu, et pas longtemps ; il faut toujours la carotte d’une prime pour qu’il daigne s’expatrier.


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