Le petit opuscule qu'on va lire a déjà quarante années d'existence, et il a été réimprimé huit ou dix fois.
Écrit par M. J.-B. Pérès, bibliothécaire de la ville d'Agen, il était, dans la pensée de son auteur, une réfutation du système de Dupuis. On sait, en effet, que l'auteur de l'Origine de tous les cultes identifiait les divinités de la Fable avec les constellations, trouvait dans l'histoire des dieux de la mythologie, une expression allégorique du cours des astres, et appliquait son étrange théorie à l'histoire de Jésus-Christ: pour lui, le Christ n'était que le soleil, et les douze apôtres les douze signes du zodiaque.
C'est pour réfuter cette prétendue explication, donnée par Dupuis en 12 volumes in-8°, que M. Pérès a imaginé l'ingénieuse plaisanterie que nous rééditons aujourd'hui. Il a suivi en cela le précepte du fabuliste:
Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur de vouloir par raison combattre son erreur: enchérir est plus court, sans s'échauffer la bile.
C'est enchérir, en effet, que d'appliquer la théorie de Dupuis à un événement très-rapproché de nous; c'était en outre donner une preuve de bon sens et d'esprit que de faire cette application, moins de dix ans après la mort de Napoléon Ier, à Napoléon lui-même.
Peut-être pensera-t-on qu'il était inutile de rééditer la réfutation d'un ouvrage, célèbre en son temps, mais tombé dans un juste oubli.
Nous ne l'avons point cru. Indépendamment de l'intérêt que présentent ces pages confiées à notre garde et du devoir que nous avions de ne les point laisser périr, nous ne pouvons nous dissimuler que les théories de Dupuis ont revécu et revivent tous les jours, modifiées et rajeunies. „Ce qui a été, c'est ce qui sera,“ disait l'Ecclésiaste, et la science incrédule justifie ce mot en cherchant à ébranler la réalité des récits évangéliques et à nous faire voir des fictions, des allégories, des mythes, là où l'Évangile nous montre des faits.
D'autres ont opposé et opposent à ces tentatives hardies de falsification historique les données de la science et les témoignages du passé. Pour nous, nous croyons aussi qu'on peut faire justice de ces attaques par une raillerie fine et incisive comme celle de notre opuscule.
Puisse ce petit livre mettre beaucoup d'esprits sur les traces de la vérité et, en dissipant quelques préjugés, frayer le chemin au Maître de la vérité!
Comme quoi Napoléon n'a jamais existé
ou Grand erratum source d'un nombre infini d'errata a noter dans l'histoire du XIXe siècle
Napoléon Bonaparte, dont on a dit et écrit tant de choses, n'a pas même existé. Ce n'est qu'un personnage allégorique. C'est le soleil personnifié; et notre assertion sera prouvée si nous faisons voir que tout ce qu'on publie de Napoléon le Grand est emprunté du grand astre.
Voyons donc sommairement ce qu'on nous dit de cet homme merveilleux.
On nous dit:
Qu'il s'appelait Napoléon Bonaparte;
Qu'il était né dans une île de la Méditerranée;
Que sa mère se nommait Letitia;
Qu'il avait trois soeurs et quatre frères, dont trois furent rois;
Qu'il eut deux femmes, dont une lui donna un fils;
Qu'il mit fin à une grande révolution;
Qu'il avait sous lui seize maréchaux de son empire, dont douze étaient en activité de service;
Qu'il triompha dans le Midi, et qu'il succomba dans le Nord;
Qu'enfin, après un règne de douze ans, qu'il avait commencé en venant de l'Orient, il s'en alla disparaître dans les mers occidentales.
Reste donc à savoir si ces différentes particularités sont empruntées du soleil, et nous espérons que quiconque lira cet écrit en sera convaincu.
1) Et d'abord, tout le monde sait que le soleil est nommé Apollon par les poètes; or la différence entre Apollon et Napoléon n'est pas grande, et elle paraîtra encore bien moindre si l'on remonte à la signification de ces noms ou à leur origine.
Il est constant que le mot Apollon signifie exterminateur; et il paraît que ce nom fut donné au soleil par les Grecs, à cause du mal qu'il leur fit devant Troie, où une partie de leur armée périt par les chaleurs excessives et par la contagion qui en résulta, lors de l'outrage fait par Agamemnon à Chrysès, prêtre du soleil, comme on le voit au commencement de l'Iliade d'Homère; et la brillante imagination des poètes grecs transforma les rayons de l'astre en flèches enflammées que le dieu irrité lançait de toutes parts, et qui auraient tout exterminé si, pour apaiser sa colère, on n'eût rendu la liberté à Chryséis, fille du sacrificateur Chrysès.
C'est vraisemblablement alors et pour cette raison que le soleil fut nommé Apollon. Mais, quelle que soit la circonstance ou la cause qui a fait donner à cet astre un tel nom, il est certain qu'il veut dire exterminateur.
Or Apollon est le même mot qu'Apoléon. Ils dérivent de Apollyô, ou Apoleô deux verbes grecs qui n'en font qu'un, et qui signifient perdre, tuer, exterminer. De sorte que, si le prétendu héros de notre siècle s'appelait Apoléon, il aurait le même nom que le soleil, et il remplirait d'ailleurs toute la signification de ce nom; car on nous le dépeint comme le plus grand exterminateur d'hommes qui ait jamais existé. Mais ce personnage est nommé Napoléon, et conséquemment il y a dans son nom une lettre initiale qui n'est pas dans le nom du soleil. Oui, il y a une lettre de plus, et même une syllabe; car, suivant les inscriptions qu'on a gravées de toutes parts dans la capitale, le vrai nom de ce prétendu héros était Néapoléon ou Néapolion. C'est ce que l'on voit notamment sur la colonne de la place Vendôme.