Том 6. Письма, 1860-1873 - [44]

Знаете ли, что вы мой единственный корреспондент в Москве? т. е. если можно назвать корреспондентом лицо не пишущее… К Аксаковым по приезде из Москвы я еще ни разу не писал. Вы одни тревожите иногда во мне эту заглохшую способность к начертанию букв… Такие исключительные усилия заслуживают же с вашей стороны некоторого ободрения… Итак, в самом даже неблагоприятном предположении не позднее как дня через три я жду вашего отклика. Не то… увидите.

Ф. Тчв

Аксаковой А. Ф., 25 февраля 1866 >*

67. А. Ф. АКСАКОВОЙ 25 февраля 1866 г. Петербург

Pétersbourg. Vendredi. 25 février <18>66

Ma fille chérie, ma bonne et heureuse Anna, — de grâce pardonne-moi mon silence et surtout ne l’interprète pas à mal. Ce n’est, Dieu le sait, ni de l’indifférence, ni même de la paresse. C’est quelque chose… dont il est inutile de parler… Je vous sens, je vous vois en pleine possession de la vie, de cette vie à laquelle tu n’as cessé d’aspirer et que tu méritais si bien… et quant à moi — ma vie à moi est bien finie, morte et enterrée. Or il faut avoir expérimenté cet état, pour comprendre ce que c’est — et comme alors en présence de la vie vivante on contracte, tout naturellement, la retenue et la discrétion des morts…

Et cependant, ma fille, crois-le bien, je lis tes lettres avec la plus intime satisfaction. C’est comme si j’assistais à l’accomplissement d’un beau rêve, et je ne puis assez remercier Dieu de l’avoir permis… Il y a dans ton bonheur quelque chose qui me satisfait tout entier et qui donne raison à toutes mes convictions, car tu sais bien que ton mari a toujours été au nombre de mes convictions les meilleures. Je lui sais tant de gré de ce qu’il est — et surtout de ce qu’il a une nature de tout point si différente de la mienne… tu dois aussi apprécier cela.

Ah oui, j’aimerais bien vous voir chez vous — par une belle journée de printemps au premières feuilles et sous ce même toit qui a déjà abrité tant de vie intelligente et sympathique. Ce n’est pas peu de chose que d’hériter d’un pareil passé…^*

Et cependant, ma fille, oserai-je vous l’avouer, — même à travers votre bonheur présent, j’en suis encore à regretter le День^* et fais des vœux sincères pour pouvoir concilier ces deux choses… Et ce n’est pas à moi seul que le День manque si essentiellement. Il manque à la pensée russe contemporaine et il ne saurait lui manquer longtemps sans en faire baisser le niveau.

Nous sommes ici en pleine crise de politique extérieure à cause des principautés Danubiennes, et c’est aujourd’hui même que l’Empereur doit se décider entre Gortchakoff et Budberg^*, ici présent… Quant à préciser le différend qui existe entre ces deux messieurs, ce n’est pas chose facile. En tout cas il y a là plus de personnalité que de politique… Une circonstance piquante du procès, c’est le patriotisme ultra-russe de Budberg qui n’admet aucun ménagement, aucune temporisation et veut décidément être le Bismarck de la Russie… Il n’y a rien d’aussi effrayant que le patriotisme russe d’un Allemand. C’est comme un poltron révolté… et cependant les coups de tête seraient plus que jamais un contresens dans notre politique qui, pour réussir, n’a besoin que de se comprendre elle-même et de laisser faire le temps et la force des choses.

J’aimerais bien pouvoir utiliser ces deux auxiliaires dans l’intérêt du rétablissement de notre chère Daria — pauvre fille qui, grâce à je ne sais quel défaut organique dans son être moral, en est arrivée déjà dès à présent à cette difficulté d’être dont quelqu’un se plaignait à l’âge de cent ans…^* La position qu’elle s’est faite est telle qu’on ne sait vraiment pas par quel bout la prendre…

Mais avant de finir, voici une commission dont j’ai été obligé de me charger p ton mari. C’est de la part du jeune P Volkonsky, à qui ton mari a promis de lui envoyer quelques exemplaires de sa notice nécrologique sur son père^*.

Et maintenant encore une fois, que Dieu vs garde tous les deux. A vs de cœur

T. T.

Перевод

Петербург. Пятница. 25 февраля <18>66

Моя милая дочь, моя добрая и счастливая Анна, — прошу, прости мне мое молчание и, главное, не истолковывай его в дурном смысле. Видит Бог, это не равнодушие, это даже не лень. Это нечто… о чем бесполезно говорить… Я чувствую, я вижу, какой полнокровной жизнью вы живете, той жизнью, к которой ты не переставала стремиться и которой так заслуживала… что же до меня — моя жизнь положительно кончена, мертва и погребена. Но тому, кто не испытал ничего подобного, не понять, что это за состояние — когда при соприкосновении с живой жизнью невольно цепенеешь и немеешь, точно настоящий мертвец…

Тем не менее верь мне, дочь моя, что я читаю твои письма с полным сердечным удовлетворением. Я словно присутствую при осуществлении чу́дного сна и не могу достаточно возблагодарить Бога за Его на то соизволение… В твоем счастье есть нечто, удовлетворяющее меня вполне и отвечающее всем моим убеждениям, ибо ты хорошо знаешь, что твой муж всегда принадлежал к числу моих лучших убеждений. Я так ему признателен за то, что он есть, а главное, за то, что он обладает характером, столь отличным, со всех точек зрения, от моего… Ты тоже должна ценить это.